L’Avenir en commun : Mélenchon met à jour son programme
A l’occasion de la sortie du programme de Jean-Luc Mélenchon, qui, selon les sondages, est toujours en tête de la gauche, je me suis intéressée à comparer ce qui avait pu changer entre 2017 et aujourd’hui. Depuis 5 ans, le candidat à la présidentielle a dû revoir sa stratégie pour convaincre plus largement et espérer accéder au second tour de la présidentielle. Quels impacts ces considérations ont-elles pu avoir sur son programme ?
Décryptage.
Réparer ce que la politique de Macron a défait
Cela aurait pu être le slogan du candidat de l’Union populaire. Dès la première lecture, on ne peut qu’observer que le programme de Mélenchon, était déjà bien rempli en 2017, ne s’est pas appauvri. Au contraire, il s’est même enrichi en réponse aux événements politiques de ces dernières années. Un quinquennat Macron, le mouvement des Gilets jaune et surtout la crise sanitaire semblent en effet avoir démontré la pertinence des analyses et des propositions des insoumis sur de nombreux points.
Par exemple, nouvelle et première mesure : abroger la réforme de l’assurance-chômage de Macron, qui porte notamment sur un nouveau calcul des droits et les diminue pour des centaines de milliers de Français, comme cela a été démontré par les confrères de Capital dès 2019. Dans le détail : “200.000 demandeurs d’emploi verront l’ouverture de leur droit retardée d’un an ou plus ou n’ouvriront plus de droit”, “210.000 verront l’ouverture de leur droit retardée de moins d’un an”, et “300.000 verront la durée de leur droit baisser”. Profil-type de ces perdants dès la première année de mise en œuvre ? “Plus jeunes que la moyenne, avec des droits plus courts et des salaires de référence plus faibles.”
Autre détricotage prévu : celui des lois dites « antiterroristes » de 2017 et 2021 qui ont permis au gouvernement de faire entrer l’état d’urgence dans le droit commun. La France fait ainsi partie des pays dénoncés par l’ONU pour commettre de sérieuses atteintes aux droits humains et aux libertés individuelles. En effet, en février 2021, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres alertait sur le fait que l’épidémie de Covid-19 était utilisée par certains pays pour faire taire les “voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants et entraver le travail des organisations non gouvernementales” et les médias.
Un programme qui se veut une solution à la crise actuelle
Depuis 2017, La France insoumise compte 17 députés et 6 eurodéputés qui ont avancé des propositions qui ont été ajoutées au programme. Ainsi, l’interdiction de la pêche électrique, votée au Parlement européen suite au travail des ONG et du député européen insoumis Younous Omarjee, est consacrée dans le programme de 2022.
A noter également, l’ajout de la proposition faite par Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale en 2020 de rachat des dettes publiques COVID par la BCE, une piste sérieuse défendue notamment par le très respecté économiste Gaël Guiraud en France, mais rejetée par la directrice de la BCE Christine Lagarde, contraignant les pays européens à accélérer les politiques d’austérité pour combler les déficits publics qui se sont ajoutés avec la crise sanitaire.
Dans ce domaine, le programme de 2022 pousse toutes les pistes de financement public qui ne sont pas les mesures classiques et parmi elles, la lutte contre l’évasion fiscale. Fort de la présence à ses côtés de Manon Aubry, ancienne responsable d’OXFAM et aujourd’hui députée européenne insoumise, Jean-Luc Mélenchon a renforcé ses propositions pour lutter contre l’évasion fiscale qui représente des centaines de milliards de manque à gagner pour l’Etat chaque année. Le récent scandale des Pandora Papers, scandale parmi d’autres, révélait que l’évasion fiscale à l’échelle mondiale s’élevait au minimum à 11 300 milliards. Un chiffre inimaginable. Chez nous, les CumEx files (dont on a moins parlé) démontrent que la France est le pays le plus touché avec 33 milliards de manque à gagner (pour ne pas dire “volés”) sur 20 ans sur les seules taxes sur les dividendes, comme le révélait les confrères du Monde et rapportés par les confrères de France info dans cet article.
Inutile de préciser que le rétablissement de l’ISF, qu’Emmanuel Macron avait supprimé dès le début de son mandat, est également une mesure phare de ce programme 2022, et par ailleurs plébiscitée par les Français comme je le rapportais dans un précédent billet (lien).
Prévenir les futures pandémies : une nécessité
Les enseignements de la crise sanitaire que nous traversons sont déjà là. Pourtant peu de candidats en prennent la mesure. Jean-Luc Mélenchon semble s’y atteler.
Rappelons que le candidat de l’Union Populaire alertait déjà sur le risque pandémique en 2017, relayant l’Organisation mondiale de la santé qui alerte les Etats sur le sujet depuis… 10 ans ! Outre la reconnaissance des pandémies comme “catastrophe naturelle”, Jean-Luc Mélenchon propose, comme il l’a fait à plusieurs reprises à la tribune de l’Assemblée Nationale, de réquisitionner les entreprises nécessaires à la production de matériel sanitaire en cas de crise, ainsi que la levée des brevets sur les vaccins et traitements indispensables. Des propositions qui semblent répondre à une réalité : on ne vient à bout d’une pandémie mondiale que lorsque l’ensemble des pays et leurs populations ont accès aux soins préventifs nécessaires.
S’y ajoutent également la proposition de pôle public du médicament avec la proposition de loi déposée par le groupe France insoumise à l’Assemblée en juin 2020. Une proposition qui fait sens après la crise sanitaire et la nécessité reconnue désormais par tous d’assurer la souveraineté de la France dans le domaine de la santé publique.
Conclusion : un programme qui répond à l’urgence sociale que personne ne veut voir
Les données les plus récentes datent d’avant la crise, mais elles évoluent constamment et ce de façon exponentielle : selon les chiffres de la direction statistiques du ministère du Travail, la proportion de jeunes estimant que leur situation s’est dégradée a quasiment doublé pour passer de 15% à 28% entre 2019 et 2020. Encore selon l’ONG BreakPoverty, qui reprend les chiffres de l’INSEE, la pauvreté continue de grimper en 2020 : “en 2018, la France comptait 9,3 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, contre 8,9 millions l’année précédente. Le taux de pauvreté grimpe donc à 14,8% de la population générale, soit une hausse de 0,7 point en une année. Le seuil de pauvreté, déterminé à 60% du revenu médian, est donc estimé à 1 063€ par mois.” Ce sont donc 9,3 millions de français qui vivent actuellement sous le seuil de pauvreté.
Une réalité bien prise en compte par Jean-Luc Mélenchon qui propose de décréter un état d’urgence sociale. Concrètement ? Bloquer les prix des produits de première nécessité, réquisitionner les dividendes distribués par le CAC 40 et repousser de 2 ans l’échéance de remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) pour éviter une crise des dettes privées. Des mesures qui semblent raisonnées mais ne sont jamais évoquées car la réalité est que la pauvreté en France, et notamment l’appauvrissement des classes populaires et surtout moyennes, est un tabou.
Alors, Jean-Luc Mélenchon parviendra-t-il cette fois à convaincre les Français ? En 2017, le candidat n’avait pas atteint le second tour. Cinq ans plus tard, ses positions sur la nécessité de se préparer à faire face à une pandémie, et aujourd’hui de tout faire pour empêcher la crise sociale à venir, résonnent comme des alertes. Le candidat de l’Union populaire a encore 5 mois pour réussir à les faire entendre aux Français.